Les inégalités de langage se construisent très tôt à travers notamment le choix des livres.

Je viens de découvrir un article très intéressant sur la dernière newsletter du média « The conversation » qui confirme, entre autres, combien le style de livres mis à disposition


dans les familles va influencer le rapport que les enfants et notamment les plus jeunes entretiennent avec le langage.
« Les inégalités de langage apparaissent très tôt. Dès la maternelle, on constate des variations très fortes dans les capacités d’expression et de compréhension des élèves. Comment ces différences socialement marquées se construisent-elles ? « 

Voici quelques extraits
et notamment ceux relatifs à la lecture

En s’appuyant sur l’exemple de l’humour et des choix de lecture, Marianne Woollven (Université Clermont Auvergne) nous explique comment le rapport des enfants aux mots et aux discours est influencé par les pratiques et les priorités familiales.

Son propos prend appui sur « une enquête sociologique collective sous la direction de Bernard Lahire**, menée auprès d’enfants âgés de 5-6 ans issus de différents milieux sociaux et publiée dans l’ouvrage Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants montre qu’à travers tout un ensemble de pratiques familiales quotidiennes le langage des enfants apprennent à considérer le langage selon les groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Cela les prépare inégalement à la vie sociale et plus particulièrement aux situations scolaires. »

Parmi l’ensemble des pratiques étudiées dans l’enquête, penchons-nous plus particulièrement sur les choix de livres lus aux enfants.

Choix de lectures 
des critères utilitaires ou esthétiques

Le fait de raconter des histoires aux enfants dès leur plus jeune âge est une pratique aujourd’hui très répandue dans la société française ; elle concerne aussi une large majorité des enfants enquêtés. Cependant, les critères mobilisés par les parents pour choisir les livres à lire à leurs enfants varient considérablement en fonction de leurs ressources économiques, et encore plus de leurs niveaux de diplôme, et traduisent des rapports au langage socialement différenciés.

Du côté des parents les moins diplômés et dans les classes populaires, les livres sont souvent envisagés comme des supports à partir desquels les enfants peuvent apprendre des choses. Il peut s’agir de l’apprentissage du lire-écrire mais aussi d’apprentissages pratiques, renvoyant à des manières de se comporter dans la vie quotidienne (par exemple, la propreté).

Le rapport au langage transmis aux enfants à travers les pratiques de lecture est donc pragmatique dans la mesure où les histoires sont envisagées prioritairement dans leur dimension fonctionnelle et instrumentale. De même, dans certaines familles socialement proches, la lecture est aussi envisagée comme un moyen d’« apaiser » les enfants.

Parmi les parents plus diplômés, les critères sont différents et suivent deux logiques distinctes.

Pour ceux qui détiennent les diplômes les plus élevés et sont plus proches de la culture écrite, le langage utilisé et la qualité littéraire sont des critères centraux de choix. D’autres parents, également très diplômés mais plus proches des professions artistiques, valorisent quant à eux les images et le graphisme pour leur dimension esthétique.

D’autres parents encore, diplômés de filières scientifiques et techniques et plus dotés en capital économique, apprécient les histoires permettant de « répondre à des questions » ou faire des découvertes, notamment dans le domaine des sciences. Pour eux, l’écrit est alors envisagé comme une médiation vers des savoirs, notamment scolaires.

Dans l’ensemble de ces familles, la lecture d’histoires est une pratique régulière par laquelle les enfants sont initiés, de plusieurs manières, à adopter une posture réflexive envers les ouvrages qui leur sont proposés.

Humour 
la réflexivité et l’écrit font la différence

Les formes d’humour pratiquées dans le cadre familial sont également des éléments contribuant à façonner chez les enfants des rapports au langage d’inégale valeur sociale. « Dans l’ensemble des familles enquêtées, les farces et le comique de situation sont des pratiques répandues et appréciées par les enfants….. »

Cet article est signé par Marianne Woollven
Maîtresse de conférences en sociologie, Université Clermont Auvergne (UCA
)


Bernard Lahire est un sociologue français, Directeur de recherche CNRS au Centre Max-Weber (CNRS)/École normale supérieure de Lyon.
** LAHIRE Bernard (dir.). Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants
Paris : Éd. du Seuil, 2019, 1232 p. ici

Proposé par Chantal

Publication du mercredi 17 avril 2023

2 commentaires

  1. Il faut penser aussi aux enfants qui n’ont pas de livres à la maison.

    deux cas de figure : l’enfant vit dans une famille « écrans » et passe le doigt sur mon livre pour faire bouger l’histoire … Peut-être a-t-il des livres audios, ou l’enfant vit dans une famille pauvre qui ne dépense rien pour des livres. Dans le 2ème cas, l’enfant trouve une parade pour être « comme les autres » : s’écrier à chaque nouveau livre présenté « ah! je le connais, je l’ai à la maison ! » . Il suffit de guetter du coin de l’oeil, il ne connait pas l’histoire, mais je joue le jeu en lui demandant de ne pas révéler la surprise en fin de récit. Il est très fier de ne rien raconter (et pour cause !).

  2. Bonjour Sylvie. J’ai bien aimé ton dernier exemple souvent rencontré lors de mes séances de lecture, je les trouve finalement très touchant ces jeunes qui cherchent à « donner le change ». Ces enfant là s’investissent souvent très vite dans nos histoires. Les familles écrans existent dans tous les milieux et c’est un tel bonheur de voir ces élèves non lecteurs peu à peu se laisser emporter par nos albums. Tout cela valide tellement notre bénévolat ! Merci pour tes interventions toujours très intéressantes. A bientôt Sylvie. Chantal

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