Poèmes pour les plus grands

Anagramme

Par le jeu des anagrammes 
Sans une lettre de trop,
Tu découvres le sésame
Des mots qui font d’autres mots.

Me croiras-tu si je m’écrie 
Que toute neige a du génie ?

Vas-tu prétendre que je triche 
Si je change to chien en niche ?

Me traiteras-tu de vantard
Si une harpe devient phare ?

Tout est permis en poésie.
Grâce aux mots, l’image est magie.

Pierre Coran
L’écharpe d’Iris

L’âge d’or

Maman, plus tard, moi je serai
Blanchisseur de nuages ou berger d’oiseaux,
Peut-être compteur de gouttes d’eau,
Arbitre pour combats d’escargots,
Garde du corps pour papillons,
Acupuncteur pour hérissons,
Clown pour passants fatigués,
Imprimeur pour sans-papiers,
Décorateur de coccinelles,
Empêcheur de tomber du ciel.
Puis, j’inventerai la machine à ne rien faire
Qui se tendra en hamac depuis la terre
Vers un point très lointain du vaste univers.
Alors, on m’élira comme la plus lente
eE la plus mignonne étoile filante.
Respirant le grand air des galaxies,
A cheval sur l’Ourse, sur la queue de Castor, 
Employé des affaires privées de l’infini,
Je connaîtrai enfin l’âge d’or.

Carl Norac

durée de lecture : 1 mn

Intelligent

A l’école, c’est ridicule
J’appelle la maîtresse « maman »
Toute la classe rit évidemment

Je crois encore au Père Noël
A la petite souris aussi
Je ne suis pas très intelligent

J’ai peur de l’orage c’est idiot
J’ai peur des dinosaures aussi
Même s’il y en a très peu aussi

Je sais compter jusqu’à mille
Mais je m’arrête à trois souvent
J’oublie tout ce qui est important

Je ne sais pas lacer mes chausures
Ni enlever la coquille d’un oeuf dur
Je casse souvent les cerfs-volants

Les yeux collés à la fenêtre
J’attends que le monde s’arrête
Pour en descendre tout simplement.

Julien Baer (1964…)
« Petit, un cahier de poésie »
illustré par Camille de Cussac.
auteur-illustrateur-interprète

A quoi sert un poème

Ça sert à jouer des mots
comme on joue de la guitare,
de la flûte ou du piano.

Ça sert à faire savoir
qu’on est gai ou qu’on est triste
ou bien d’humeur fantaisiste.

Ça remplace quelques larmes
Ça fait rire ou ça désarme;
Ça sert à parler de soi
ou bien de n’importe quoi.

C’est un voyage intérieur,
un moyen d’ouvrir son coeur.

A quoi ça sert un poème ?

Au fond, ça ne sert à rien
mais ça rend la vie plus belle
comme un tour de magicien.
un sourire, un arc-en-ciel.

A qui ça sert un poème ?
Ça sert à dire « Je t’aime ».

Henriette Major (1933 – 2006)

Il peut le dire.
Le poème à Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit.
Odile a peur du crocodile

Et pour éviter un « ci-git »,
Le crocodile croque Odile.

Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente.
Odile alors serait vivante,
Et je crois bien que Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour qu’on répande cette mort,
Se démène, paye et intrigue.
Moi, je trouve qu’Alligue a tort.

Jean Cocteau 
(1989 – 1963)

Le Potomak (1913 – 1914)
Seconde visite au Potomak

Sportif

Football, baseball, judo, hockey
Polo, moto, sumo, croquet

Et canoë
Et karaté
Et course à pied

Tôt le dimanche
De l’accrobranche

Le Tour de France

J’aime tous les sports
On peut le dire
Mais il y en a un
que je préfère : 
Dormir.

Julien Baer
(1963…)

Petit 
Un cahier de poésie 
Ecole de loisirs 2018

Le papillon

Né au pays de la soie fine
Dans un cocon venu de Chine

L’Orient est peint sur ses ailes
Jaune ou bleu, vert ou vermeil

Il vole, il va, il vit sa vie
A petits battements ravis .

Dans l’air doux, comme un éventail,
On le voit, on ne le voit plus,

Il est ici, il est là
Ou bien c’est un nouveau venu
Son jumeau qui passe là-bas .

Ah mettez au clou vos filets,
Jetez épingles et bouchons,

Laissez le libre car il est
La poésie, le papillon .

Marc Alyn (1937)

Dites donc, un poète…


– Dites donc, un poète, à quoi ça sert ?
– Ça remplace les chiens par des licornes.
– Dites donc, ça n’a pas d’autres talents ?
– Il apporte le rêve à ceux qui n’osent pas rêver.
– Vous trouvez ça utile, dites donc ?
– Quand il veut, il persuade les comètes de s’arrêter quelques moments chez vous.
– Il trouble l’ordre, dites donc, ce type-là !
– Pas plus qu’un vol de scarabées, pas plus qu’un peu de neige sur l’épaule.
– Il est bon pour l’hospice, dites donc !
– Il le transformerait en palais de cristal, avec mille musiques.
– Qu’on le conduise à la fosse commune, dites donc, ce poète.
– Alors décembre se prolongera jusqu’à la fin de juin.

Alain Bosquet
1919-1998

Ecrire un poème en jouant
avec les mots
Le monde à l’envers

Le cheval chante.
Le hibou miaule.
L’âne gazouille.
Le ruisseau hennit.

C’est bien mon enfant :
Joue avec les mots.

Le triangle est rond.
La neige est chaude.
Le soleil est bleu.
La maison voyage.

Tu as de la chance : 
Les mots sont amicaux
et généreux.

Le poisson plane.
La baleine court.
La fourchette a des oreilles.
Le train se gratte.

-Je t’avais prévenu : 
Maintenant les mots te mordent.

Alain Bosquet
1919-1998

Le monde

Le monde est rond. C’est une pomme.
Il ne faut pas trop la croquer
ni la salir, la réchauffer,
lui faire manquer d’air,
la laisser pourrir, dépérir,
ou l’arracher à la branche de l’univers. I
Il ne s’agit pas d’une brillante étoile
ni du plus géant soleil,
voilà notre fruit, notre décor.
Mais c’est bien là,
sur cette pomme qui nous ressemble,
que nous voulons ensemble,
vivre encore.

La lune

Quand la lune est-elle à ton goût ?
En croissant ou bien ronde ?
En plein hiver
ou un soir d’été doux ?
Après la pluie ?
Sous le chant des criquets ?
Quand elle va s’éclipser ?
Quand elle déguste un nuage ?
Quand elle est, haut dans le ciel,
couleur fraise ou caramel ?

Moi, j’aime plutôt la lune
en reflet sur l’étang.

Depuis ma barque,
en me penchant,
plié comme un arc,
je rêve à chaque instant
de l’embrasser
sur ses joues toutes froides.

Julie Bernard
illustratrice
Carl Norac
auteur

sources : « Le monde » et « la lune »
Le Livre des beautés minuscules »
éditions « rue du monde » 2019
Sélectionné par le prix poésie


Au restaurant

illustration de Camille de Lussac

Comme je m’ennuie au restaurant
Ca fait des heures qu’on est assis
Mes parents ont pris du poisson
Moi j’attends la salade de fruits

Il y a des oncles et un cousin
Ils parlent de tout, surtout de rien
Personne ne m’adresse la parole
Et mes pieds touchent à peine le sol

Je dessine un peu sur la nappe
Je fais des boules avec le pain
Que je trempe après dans du vin

Je prends discrètement la salière
Je verse du sel dans ma cuiller
Que je vide après dans mon verre

Je regarde la table d’à côté
Et je pique avec ma fourchette
Leur chien qui lèche son assiette

Ce n’est pas gentil, je l’avoue
Mais je m’ennuie beaucoup c’est tout

Je ferme les yeux de temps en temps
Et je décide officiellement
Que si un jour j’ai des enfants
On n’ira pas
Même une seule fois
Au restaurant.

Julien Baer
« Petit » illustré par Camille de Cussac

Bonjour

Le bourgeon s’est tenu caché…
Comme un diable au fond de sa boîte
Mais dans sa prison trop étroite
Il bâille et voudrait respirer.
Il entend des chants, des bruits d’ailes,
Il a soif de grand jour et d’air,
Il voudrait savoir les nouvelles,
Il fait craquer son corset vert.
Puis d’un geste brusque il déchire
Son habit étroit et trop court,
« Enfin, se dit-il, je respire, 
Je vis, je suis libre…Bonjour ! »

Paul Géraldy
1885-1983

Ponctuation

Ce n’est pas pour me vanter,
Disait la virgule,
Mais, sans mon jeu de pendule,
Les mots, tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter.

 C’est possible, dit le point.
Mais je règne, moi,
Et les grandes majuscules
Se moquent toutes de toi
Et de ta queue minuscule.

 Ne soyez pas ridicules,
Dit le point-virgule,
On vous voit moins que la trace
De fourmis sur une glace.
Cessez vos conciliabules.
Ou, tous deux, je vous remplace !

Maurice CARÊME (1899 – 1978)

Conversation

(sur le pas de la porte avec bonhommie)

Ça sert à jouer des mots
comme on joue de la guitare,
de la flûte ou du piano.

Ça sert à faire savoir
qu’on est gai ou qu’on est triste
ou bien d’humeur fantaisiste.

Ça remplace quelques larmes
Ça fait rire ou ça désarme;
Ça sert à parler de soi
ou bien de n’importe quoi.

C’est un voyage intérieur,
un moyen d’ouvrir son coeur.

A quoi ça sert un poème ?

Au fond, ça ne sert à rien
mais ça rend la vie plus belle
comme un tour de magicien.
un sourire, un arc-en-ciel.

A qui ça sert un poème ?
Ça sert à dire « Je t’aime ».

Henriette Major (1933 – 2006)

Le lapin de septembre

En septembre,
Tous les ans,
Un petit lapin frappe à la porte de ma chambre,
– C’est l’ouverture de la chasse !
– Et tu crains qu’on te fricasse !
– Puis-je entrer dans ton potager ?
– Oui, mais sans rien déranger !

Mais à chaque fin de saison,
C’est toujours la même chanson,
Il a mangé mes salades,
Mes carottes, mon oseille…
J’en suis malade.


Je lui tire les oreilles.
Il me regarde transi
De peur
Et me dit : 
– Aurais-tu le coeur
D’acheter un fusil ?

Michel Luneau  (1934 – 2012)
Les plus beaux poèmes pour les enfants
Jean Orizet (le cherche midi éditeur)

Si

Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s’appelait Gisèle,
Si on pleurait lorsque l’on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l’on mourrait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l’agneau dévorait le loup,
Si les normands parlaient zoulou,
Si la mer noire était la Manche,
Et la Mer rouge, la Mer Blanche,
Si le monde était à l’envers,
Je marcherais les pieds en l’air,
Le jour je garderais la chambre,
J’irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois,
Quel ennui ce monde à l’endroit !

Jean-Luc MOREAU (1937…)
L’arbre perché
Editions de l’atelier 1979

Ma voiture

Un jour viendra, j’en suis sûr
Où j’aurai une jolie voiture

Comme j’aime beaucoup les animaux
Elle aura des sièges en cuir bordeaux

J’aimerais aussi qu’elle fasse du bruit
Pour faire plaisir aux gens la nuit

Elle consommera beaucoup d’essence
C’est bon pour la nature, je pense

Je conduirai à toute vitesse
C’est un signe de politesse je pense

Et comme je n’aime pas me faire remarquer
Elle aura des paillettes dorées.

Julien Baer
« Petit » illustré par Camille de Cussac

Le brouillard

Le brouillard a tout mis 
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris 
Autour de ma maison .

Plus de fleurs au jardin
Plus d’arbres dans l’allée ;
La serre du voisin 
Semble s’être envolée . 

Et je ne sais vraiment pas
Où peut s’être posé 
Le moineau que j’entends 
Si tristement crier .

Maurice Carême (1899-1978) )

La trompe de l’éléphant



La trompe de l’éléphant,
c’est pour ramasser les pistaches :
pas besoin de se baisser.

Le cou de la girafe,
c’est pour brouter les astres :
pas besoin de voler.

La peau du caméléon,
verte, bleue, mauve, blanche,
selon sa volonté,
c’est pour se cacher des animaux voraces :
pas besoin de fuir.

La carapace de la tortue,
c’est pour dormir à l’intérieur,
même l’hiver :
pas besoin de maison.

Le poème du poète,
c’est pour dire tout cela
et mille et mille et mille autres choses :
pas besoin de comprendre.

Alain Bosquet
1919-1998
(« Le cheval applaudit » – Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)